Fabienne Gomant

Fabienne GomantNous avons rencontré Mme. Fabienne Gomant, directrice de clientèle au département Opinion et Stratégies d’Entreprise de l’institut IFOP. Elle a bien voulu répondre à quelques-unes de nos questions :

 

 

 

Nous : Quelles sont les spécificités de votre institut de sondage ? Dans quelles études est-il spécialisé ?

Mme Gomant : L’IFOP est le premier institut de sondages créé en France : il a été fondé en 1938. Nous avons donc accès à une quantité d’archives phénoménale qui nous permet de mesurer certaines évolutions de la société en comparant les résultats d’enquêtes actuelles avec celles des années 40, 50… Ainsi, par exemple, un sondage a été réalisé en 1968 sur « les qualités plus importantes pour un garçon ou une fille de 10-12 ans ». 1er enseignement : 40 ans plus tard, ce sont les mêmes qualités qui sont attendues de la part d’un garçon et d’une fille ; 2ème enseignement intéressant : « l’extérieur » prend aujourd’hui davantage d’importance, tant de façon positive (souhait que l’enfant fasse preuve de curiosité) que négative (nécessité perçue pour l’enfant de savoir se défendre).

Au-delà de l’ancienneté de l’institut, l’Ifop présente la caractéristique de faire partie des quelques instituts réalisant et publiant des sondages d’opinion. Il existe, certes, pléthore d’instituts de sondages en France, mais davantage dans les études marketing. En outre, l’Ifop est une PME (il y’a environ 200 salariés à l’IFOP), ce qui fait que, entre autres, nous avons peu de méthodes de travail formatées, nous réalisons le plus souvent des enquêtes ad hoc. Enfin, nos domaines d’activité sont assez divers : banque / assurance, médias, opinion, santé, marketing des services, de la grande consommation, luxe…

 

Nous : Et vous, dans quel domaine travaillez-vous ?

Mme Gomant : Je travaille au sein du département Opinion et Stratégies d’Entreprise qui comprend quatre expertises : politique et institutionnel, corporate, environnement et société (au sein de laquelle je travaille) et qualitative (qui est spécialisée sur cette méthodologie).

 

Nous : Selon vous, à quoi servent les sondages ?

Mme. Gomant : Les sondages ont été créés, à la base, dans une volonté de prévoir. Pour autant, un sondage n’est qu’une photographie de l’opinion à un instant t, c’est l’ensemble des opinions individuelles, au sein d’une population, à un instant t. Il est donc très important de garder ceci à l’esprit, notamment en cette période d’abondance de sondages.

Nos clients sont donc très divers : ce sont tous ceux qui ont besoin de recueillir l’opinion d’une population sur n’importe quel sujet. Dans le département Opinion, nos principaux clients sont : les médias (l’Ifop  a notamment un partenariat avec le JDD, de longue date, ainsi que Paris Match), les institutions (le service d’information du gouvernement, les ministères…), les entreprises privées (par exemple sur le climat interne au sein de l’entreprise) et les collectivités locales (sur le climat municipal, la gestion de la collecte des déchets…)

Nous : En vue des élections présidentielles, le nombre de sondages augmente-t-il ?

Mme Gomant : Bien entendu, le nombre de sondages augmente de manière considérable. Ainsi, les premières intentions de vote ont été réalisées à l’automne 2010 et le nombre de sondages à ce sujet va crescendo depuis.

Les études que nous réalisons en période électorale sont le plus souvent commandées par la presse mais aussi par les candidats ou leurs équipes de campagne. On peut alors recourir à des méthodologies qualitatives et les thématiques portent sur la perception d’un candidat par l’opinion ou sur ce que les Français attendraient de tel ou tel candidat.

L’IFOP a d’ailleurs lancé, à l’occasion de cette élection présidentielle, ce qu’on appelle un rolling. Un rolling est une enquête d'intention de vote en continu : quotidiennement depuis le mois de janvier, 300 à 350 électeurs sont interrogés en ligne. La vague du jour est cumulée avec celle des deux jours précédents, ce qui permet de diffuser chaque soir un rapport de force électoral sur 1.000 électeurs. Cette méthode permet donc de publier une étude d’intentions de vote par jour !

Nous : Quelles sont les différentes techniques de sondage utilisées par votre institut ?

Mme. Gomant : Tout d’abord, nous recourons à la fois aux méthodologies qualitatives et quantitatives. Pour les enquêtes qualitatives, nous utilisons soit la méthode de l’entretien individuel lorsque l’on cherche à comprendre des logiques individuelles de pensée ou de comportements, à interroger les gens sur des thèmes plus personnels ; soit la méthode de la réunion de groupe (environ 8 à 10 personnes) qui, elle, permet de faire interagir les participants sur un sujet.

Pour les enquêtes quantitatives, nous utilisons comme modes de recueil le face à face (de plus en plus rare car cher et contraignant), le téléphone (moins cher et plus rapide) et internet (encore moins cher et encore plus rapide). Le face à face n’est donc utilisé que si les autres modes de recueil sont impossibles à mettre en place, par exemple pour interroger les visiteurs d’un site, d’une expo, etc.

 

Nous : Mais est-ce qu’utiliser un mode de recueil comme Internet ne fausse pas les résultats étant donné que l’ensemble de la population n’est pas connecté ?

Mme. Gomant : Tout d’abord, il faut savoir que, d’après une étude du CREDOC[1], 74% de la population française est connectée à Internet, ce qui n’est pas négligeable. Ensuite, la méthode des quotas nous permet de rendre l’échantillon représentatif de la population française au titre des critères sociodémographiques.

Ceci dit, même s’il existe un biais, il n’est pas certain qu’il soit plus important que lorsque l’on utilise le recueil par téléphone puisqu’aujourd’hui de nombreuses personnes n’utilisent plus que leur téléphone portable (les mobile only) ou sont « dégroupés », c'est-à-dire n’ont plus d’abonnement France Télécom et ne sont donc plus répertoriés sur les listes couramment utilisées pour ces enquêtes. Ainsi, même si nous recourons à des générations aléatoires de numéros de téléphone mobile et dégroupés pour tenter d’atteindre ces personnes, il existe là-encore un biais.

 

Nous : En moyenne, combien de temps prend la réalisation d’un sondage ?

Mme. Gomant : lorsqu’il s’agit d’une enquête commandée par les médias, le plus souvent, il ne s’agit que de quelques questions que nous pouvons intégrer dans des enquêtes omnibus. La réalisation prend alors moins d’une semaine. En revanche, pour des enquêtes plus spécifiques à destination de collectivités ou d’entreprises par exemple, il faut compter environ trois semaines / un mois en moyenne.

 

Nous : Comment procédez-vous pour constituer un échantillon représentatif de la population française ?

Mme. Gomant : Nous avons deux méthodes à notre disposition : la méthode aléatoire et la méthode par quotas. Si nous voulions utiliser la méthode aléatoire qui serait, pour les puristes, plus juste, il nous faudrait un fichier contenant l’ensemble de la population mère, c’est-à-dire que toutes les personnes appartenant à la population mère doivent avoir la même probabilité d’être interrogées. Or, ce n’est jamais le cas. De tels fichiers n’existent pas. C’est pourquoi, nous avons plus souvent recours à la méthode par quotas qui, quant à elle, consiste à reconstituer la population mère en modèle réduit, c’est-à-dire que l’échantillon ainsi constitué a la même structure que la population mère (au titre de plusieurs critères que sont, dans le cas d’une étude grand public, le sexe, l’âge, la profession, la région et la catégorie d’agglomération). Si, par défaut de connaissance de la structure de la population mère, nous ne pouvons recourir à une représentativité par quota, alors nous utilisons la méthode aléatoire, par exemple pour des études de passage.

 

Nous : Les sondages peuvent-ils influencer les citoyens dans une élection présidentielle, dans leur consommation quotidienne ?

Mme. Gomant : En ce qui concerne la consommation tout d’abord, les études marketing ne sont pas ou très rarement publiées. Elles ne peuvent donc pas influencer directement le consommateur mais elles le peuvent de manière indirecte puisqu’elles peuvent modifier la publicité qui va être faite autour du produit par exemple.

Pour les sondages d’opinion, en revanche, beaucoup d’entre eux sont publiés (notamment en période électorale). On a ainsi l’habitude de dire qu’une « intention de vote n’est plus valable à partir du moment où elle est publiée » dans le sens où elle vient modifier le corpus d’informations auquel est soumis tout électeur. Elle peut donc modifier le choix d’un électeur.

 

Nous : Les résultats des élections présidentielles de 2002 qui n’avaient pas du tout été prévus par les instituts de sondage vous ont-ils amené à prendre plus de précautions ?

Mme. Gomant : Nous prenons en effet plus de précautions. Ceci dit, concernant le vote FN, en 2002 peu de personnes osaient dire qu’elles voteraient Front National alors qu’aujourd’hui, l’avouer est beaucoup plus facile : le vote FN est donc beaucoup moins redressé qu’auparavant.

Nous : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez lors de la réalisation des sondages ?

Mme. Gomant : Les difficultés sont le plus souvent techniques : la représentativité de l’échantillon, le choix des questions les plus neutres, les moins culpabilisantes, leur ordre… mais aussi la communication des résultats de l’enquête au client si elles ne vont pas dans le sens attendu. Dans le cas des études locales, par exemple, des résultats de sondages qui indiqueraient le rejet d’un projet par les habitants pourraient faire abandonner le projet par l’élu, celui-ci craignant pour sa réélection. Il faut alors savoir expliquer que ce n’est pas forcément une raison pour abandonner le projet, les résultats peuvent alors être interprétés comme un outil d’aide à la communication qu’il sera nécessaire de déployer pour faire accepter le projet, par exemple, ou bien comme des informations sur les aménagements à opérer pour rendre le projet attractif.

 

Nous : Quels sont les défis que doivent relever les instituts de sondage ?

Mme. Gomant : Depuis que les sondages existent, ils sont toujours allés dans le sens du plus vite et du moins cher. Ceci explique donc en partie leur multiplication qui a causé une certaine perte de valeur et de sens. Ainsi, par exemple, les sondages ne sont plus aujourd’hui des indicateurs comme d’autres, venant nourrir une analyse, mais font l’objet de gros titres dans la presse, parfois même sans analyse derrière. Je pense qu’un des défis des prochaines années sera donc de redonner du sens, de revenir à des études plus fondamentales.

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